ETHIQUE ET EXPERIMENTATION ANIMALE Citation : Ramousse R. 1996. Ethique et expérimentation animale. [En ligne] Dernière mise à jour sept. 2002. http://www.cons-dev.org/elearning/ethic/index.html
Ce terme recouvre les espèces élevées et sélectionnées par des professionnels de l'élevage,
dans le but d'être soumis à expérimentation dans le domaine de la biologie. Les chiens (Canis familiaris), chats (Felis catus) et cobayes (Cavia porcellus) sont domestiqués depuis très longtemps et pour d'autres buts que l'expérimentation. Le commensalisme du loup ou du chien sauvage, pourrait avoir favorisé son apprivoisement puis sa domestication (Moyen-Orient vers -10 000 ; facilitation du pistage et du rabattage des bêtes en milieux fermés). Les souris (Mus musculus) et les rats (Rattus norvegicus) sont domestiqués depuis peu. Tous les hamsters de laboratoire (Mesocricetus auratus) sont les descendants d'une unique femelle capturée en 1930. Enfin les singes ne sont encore qu'en cours de domestication.
L'animal dans l'expérimentation, est une variable dont la valeur dépend non seulement de facteurs héréditaires, mais aussi de facteurs du milieu.
L'expérimentateur a besoin d'un matériel vivant
- varié (espèces animales différentes), permettant de choisir les caractéristiques
dont il a besoin.
- homogène dans ses réactions (facilitation de l'évaluation comparée des résultats
fournis par des animaux témoins vis-à-vis des sujets traités).
- sain, exempt de tout germe pathogène susceptible d'interférer avec l'expérimentation.
Le choix de ces espèces domestiquées pour l'expérimentation semble avoir été un choix de commodité plutôt que dicté par le principe. L'homme a choisi probablement les animaux ayant une faible distance de fuite, les moins dangereux, et ceux s'adaptant à un environnement tout à fait différent de celui de leurs ancêtres. La domestication serait donc la recherche de la docilité. Enfin, ces animaux exclus du pool reproductif de leur population d'origine (perte de panmixie), présentent une consanguinité de
position augmentant l'hétérogénéité de l'espèce (Lamotte, 1951) et favorisant l'apparition de génotypes nouveaux. Mais la sélection artificielle réduit le nombre de génomes, privilégie l'apparition et le maintien de certaines composantes du polymorphisme, rares ou non viables dans le milieu naturel (variétés albinos, porteuses d'une maladie donnée...).
La sélection artificielle, qui est fonction des besoins de l'expérimentateur, porte sur des aspects comportementaux des animaux de la population d'origine de façon à obtenir des souches facilement manipulables par l'homme (diminution des réactions de fuite de l'animal face à l'homme et des réactions agressives, morsures). Cette sélection du critère intéressant l'homme s'accompagne toujours d'autres modifications comportementales (approche au lieu d'évitement d'objets nouveau, réduction des attaques interspécifiques...) et/ou morphologiques (souches albinos) et/ou physiologiques comme la pauvreté de la vision des souches albinos. Par contre d'autres aspects comportementaux peuvent ne pas être affectés, comme par exemple la capacité des rats de laboratoire à creuser des terriers, comparable à celle des animaux sauvages, à condition qu'ils
disposent de conditions adéquates à cette activité.
La sélection artificielle privilégie aussi l'apparition et le maintien de certaines composantes du polymorphisme, rares ou non viables dans le milieu naturel (variétés albinos ou porteuses d'une maladie donnée...). Ces lignées de mutants constituent des modèles biologiques de désordres métaboliques (rat Zucker : obésité) ou pathologiques (souris Staggerer : souris titubante). Chez cette dernière, la mutation située sur le chromosome 9, entraîne une atrophie cérébelleuse par mort progressive des neurones perturbant l'expression de la locomotion et du comportement reproducteur. Ces déficits peuvent être réduit par l'expérience acquise par l'animal (amélioration du contrôle moteur en plaçant les nouveau-nés sur un plateau tournant et incliné de 30 degrés). Elle fournit donc un modèle intéressant de la contribution des facteurs génétiques à la perte neuronale au cours du vieillissement.
La maintenance du potentiel génétique dépend du type de colonie choisi. La colonie non-consanguine (outbred) produit des animaux homogènes, génétiquement indéfinis, sauf éventuellement pour certains caractères évidents, comme la couleur du pelage. L'effectif de la population doit être élevé, sans apport extérieur (colonie fermée). Le système d'accouplement inclut les reproducteurs dans une table de nombres au hasard. La sélecion est donc minimale et les animaux présentent des caractères relativement
stables dans le temps, mais une dérive des souches se produit inexorablement source de divergences expérimentales suivant les élevages). Ces animaux sont prolifiques, d'une maintenance aisée et donc d'un coût relativement peu élevé.
La colonie consanguine (inbred) produit des animaux génétiquement identiques à la suite d'accouplements frère-soeur successifs durant au moins vingt générations. Les
gènes sont ainsi fixés à l'état homozygote. Les animaux consanguins présentent une vigeur réduite (fécondité et croissance). Cependant, ils possèdent les caractères suivant :
-isogénicité : génétiquement identiques (isogreffe possible).
- homozygotie : un gène défini à deux allèles identiques sur deux chromosomes homologues.
- stabilité durable : accumulation de données historiques.
- une individualité ne représentant pas l'espèce dans sa totalité.
- uniformité phénotypique pour la plupart des caractères (couleurs du pelage, potentiel enzymatique, éthogramme).
- identification possible par des marqueurs.
- Sensibilité aux facteurs de l'environnement.
- disponibilité mondiale.
Cette homogénéisation ne supprime pas la variabilité comportementale individuelle. Ainsi, il est possible de différencier, à partir d'une souche commune, des lignées ayant des caractéristiques comportementales opposées. Mais ces différences comportementales peuvent être masquées, voire inversées.
Certains animaux de laboratoire sont élevés exclusivement pour fournir les cellules utilisées par les méthodes de substitution : souris et rats à plusieurs dizaines de types cellulaires, normaux ou non ; hamster chinois (lignées V 79 et CHO); singe vervet (lignée Vero, production du vaccin antipoliomyélitique)....
Un grand nombre d'essais ayant été perturbés ou leurs résultats d'expérience faussés par suite d'une contamination des animaux d'expérience, on s'oriente de plus en plus vers l'élevage d'animaux aseptiques, à l'abri de tout germe de contamination (animal axénique, né sans germe et élevé en isolateur, à l'abri de tout contact direct avec l'extérieur) ou d'animaux contaminé volontairement (Animal gnotoxénique, animal axénique contaminé par un ou plusieurs germes connus). Ces animaux présentent des modifications diverses (caecum anormalement développé, intestin grêle plus court...) et du fait de leur conditions d'élevage d'un prix de revient élevé. Ils sont le plus souvent utilisés dans les recherches fondamentales.
On crée maintenant des variétés par modification du patrimoine génétique (souris transgéniques
cancéreuses ou de la maladie d'Alzheimer), modification transmissible à la descendance. Mais l'introduction d'un nouveau gène a de fortes chances d'agir en même temps sur d'autres gènes de ce même animal et ce, d'une manière plus ou moins désirable. Dans ce cas, le risque que des animaux transgéniques s'évadent vers le milieu naturel
et que des tares non décelées chez de tels animaux entraînent une disparition de l'espèce ne peut être exclu.
Il ne faut pas oublier les animaux "humanisés". L'"humanisation" est réalisée par modification du patrimoine génétique à la suite de micro-injection de matériel humain aux tout premiers stades du développement embryonnaire des animaux. Ces animaux pourraient devenir une source d'organes à greffer chez l'homme (xénogreffes).
L'importance des différences comportementales entre animal sauvage et animal de laboratoire a été longuement débattue, mais les travaux réalisés pour apprécier ce phénomène
aboutissent à des conclusions divergentes. La domestication entraîne des changements modifiant la physiologie et les canevas comportementaux des animaux, qui y sont soumis, les rendant différents de leurs congénères sauvages ainsi que de leurs congénères provenant de souches élevés dans d'autres conditions particulières. La plupart de
ces animaux serait incapables de survivre en dehors des élevages, ils sont donc totalement dépendant de l'homme.
Les modifications du milieu entraînées par la domestication peuvent modifier les phénotypes par des pratiques de routine utilisées précocement au cours du développement : pauvreté
de l'environnement, castration, implantation d'hormones, nourriture à fort régime protéinique ou carences alimentaires (une carence en acides gras essentiels de la femelle gestante provoque un retard de la myélinisation du cerveau et du développement sensori-moteur des jeunes, par rapport à des témoins iso-géniques) mais aussi manipulations modifiant les processus d'attachement spécifiques, conditionnement, apprentissage. Le comportement peut aussi être modifié par les conditions d'élevage des animaux (groupes unisexués avec divers degrés de privation sociale ou sensorielle, ou conditions de surpopulation plus ou moins marqués). Ainsi, Rosenzweig (1971) a élevé des rats dans des environnements plus ou moins complexes, plus ou moins en rapport avec les caractères comportementaux de l'animal étudié. Il a montré qu'il y avait des différences dans les réactions comportementales de sujets élevés en milieu enrichi par rapport à celles des rats élevés dans des cages standards (environnement vital limité à l'abreuvoir, la mangeoire et la litière).
Les premiers, par exemple, réussissent mieux dans l'apprentissage d'un labyrinthe à l'âge adulte que ceux élevés en cage standard. Ils présentent aussi des modifications anatomiques telle qu'un cerveau plus développé, un nombre de synapses plus important, un cortex visuel plus épais. Cet effet d'environnement différentiel ne peut être généralisé à toutes les espèces. En particulier, les singes ne présenteraient pas de modification à long terme de leurs capacités comportementales.
Il est donc important de considérer les effets de la domestication au travers des différences génotypiques et des méthodes d'élevage employées. Ces effets tendent à modifier, parfois radicalement, les types de comportement naturels par lesquels les animaux sauvages se sont adaptés à des modes de vie particuliers au cours de la sélection naturelle ou de l'apprentissage individuel. Les animaux maintenus en captivité sont moins actifs que dans les conditions naturelles, les activités comme la chasse, la migration ne sont pas possibles, d'autres activités comme la recherche alimentaire et l'alimentation sont fortement réduite (canevas stéréotypés de mouvements, répétitivité anormalement élevé de comportements tels que ceux de marquage). La plupart des animaux d'expérimentation seraient incapables de survivre en dehors des élevages. Enfin, les chercheurs ont éliminé en grande partie la nécessité pour un animal de chercher ce dont il a besoin, ce qui risque de le blesser ou de le tuer. Mais c'est justement la façon dont l'animal fait face à ces problèmes qui nous renseigne le mieux sur l'adaptabilité de ses comportements, ses capacités comportementales. Il ne faut jamais oublier que les performances comportementales observées dans une situation donnée dépendent à la fois du génotype et du milieu dans lequel l'individu a été élevé. Il est nécessaire d'utiliser des témoins soumis aux mêmes procédures d'élevage.
L'animal est trop souvent considéré en zootechnie comme une "machine vivante à aptitude multiple", comme une machine thermodynamique dotée de mécanismes d'autorégulation, un engin cybernétique. Il est devenu un instrument dans le dispositif de recherche, manipulable à merci. Il est soumis à la même logique économique que celle qui assimile les exploitations agricoles à des entreprises industrielles, même si la législation le protège .
En France, les espèces utilisées en expérimentation doivent être obtenues par élevage (Arrêté du 19 avril 1988). En cas d'impossibilité d'approvisionnement dans un élevage (quantité insuffisante, production ne convenant pas aux besoins de la recherche) l'article 8 du décret 87-848 du 19 octobre 1987 prévoit le recours à un établissement ou a un fournisseur occasionnel. L'ouverture d'un établissement d'élevage d'animaux destinés à l'expérimentation est subordonnée à une déclaration préalable dans le département où sont prévues les installations. Les conditions d'élevage, de transport et de stabulation des animaux destinés à l'expérimentation sont contrôlés par des vétérinaires-inspecteurs et les établissements doivent tenir un registre indiquant l'origine des animaux qui s'y trouvent. Les chiens, les chats et les primates sevrés doivent être identifiés par un marquage individuel et permanent.