ETHIQUE ET EXPERIMENTATION ANIMALE


Citation : Ramousse R. 1996. Ethique et expérimentation animale. [En ligne] Dernière mise à jour sept. 2002. http://www.cons-dev.org/elearning/ethic/index.html

6. Animal : être sensible

De nombreux auteurs, de Plutarque à Schopenhauer ont plaidé en faveur d'un plus grand respect envers les animaux. Au sein de cette pluralité, Ferry & Germé (1994) distinguent quatre positions fondamentales : le cartésianisme, qui n'accorde aucun droit aux machines que sont les bêtes ; l'humanitarisme républicain, qui défend l'idée de devoirs de l'homme envers elles mais ne propose pas de droits de l'animal ; l'utilitarisme, qui leur confère des droits égaux à ceux des hommes (voir aussi antispésisme) ; le romantisme et ses prolongements dans le national-socialisme et dans l' écologie fondamentale, qui dotent certaines espèces animales de droits supérieurs à ceux de certains humains.

6.1. Problème de la hiérachie des espèces
Peut-on considérer de la même façon l'amibe, l'escargot, la grenouille et le chimpanzé?
Une telle hiérachie des êtres vivants peut être définie dans le cadre d'évolution et des filiations. Mais si toutes les espèces diffèrent les unes des autres, les espèces actuelles sont toutes aussi bien adapatées à la vie les unes que les autres. La hiérarchie n'est pas alors une hiérarchie d'adaptation, mais plutôt une hiérarchie de complexité, qui ne confère, à priori, aucune priorité à une espèce par rapport à une autre.
Cependant, une hiérarchie peut être établie à partir du degré de développement des structures de traitement de l'information, comme le cerveau. La maîtrise du milieu par les animaux sera d'autant plus fine que leur cerveau sera plus développé. Ainsi, les Chimpanzés, les Bonobos, les Gorilles, les Orang-outangs et les humains présentent d'étroits liens de parenté (similitudes physiques, génétiques, des aptitudes cognitives et affectives) qui les font classer dans le groupe des grands singes et les distinguent des autres animaux. Le Ministère de l'intérieur Britannique a interdit (6 novembre 1997) tous test de produits cosmétiques sur les animaux et particulièrement sur les grands singes.
De plus, la protection des espèces et des individus peut poser des problèmes d'articulation, voire être contradictoire. Comment faire, en particulier, pour les animaux pour qui la notion d'individu est discutable : abeilles, fourmis par exemple. On voit ainsi que l'application de règles générales à tous les animaux suppose des nuances pratiques et peut-être des dérogations.

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6.2. Perception de la douleur
C'est un des aspects les plus critiques de notre relation à l'animal qui prend sa source dans notre croyance que tout atteinte d'une autre personne pourrait entraîner des manifestations de douleur et de souffrance et qu'il est moralement insoutenable de provoquer une telle expérience chez autrui. Mais c'est une expérience invérifiable car totalement subjective. L'association Internationae pour l'Etude de la Douleur (IASP) la définit, chez l'homme comme "une sensation désagréable et une expérience émotionnelle en réponse à une atteinte tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite dans ces termes" et complète la définition pour les animaux de la façon suivante "la douleur est une expérience sensorielle aversive causée par une atteinte réelle ou potentielle qui provoque des réactions motrices et végétatives protectrices, conduit à l'apprentissage d'un comportement d'évitement et peut modifier le comportement spécifique de l'espèce y compris le comportement social".
Mais n'existe-t-il pas dans ce domaine une hiérachie? Car la douleur, chez l'homme ne pose pas les mêmes problèmes chez un sujet conscient ou chez un sujet inconscient. Ainsi, la douleur vécue (inconsciemment, par un individu opéré n'est pas prise en compte, et pourtant elle est parfois si intense qu'il faut lui attacher les membres. Donc la conscience est un élément important, et se pose alors la question de l'émergence de la conscience chez l'animal.
Enfin, l'absence de communication verbale chez l'animal est un obstacle génant l'évaluation de la douleur. Quelles sont les manifestations chez l'animal qui pourraient nous renseigner sur cet événement mental qu'est la douleur. Il y a différentes sources : la santé physique, les signes physiologiques et le comportement (Dawkins).

6.2.1. Critères de bien être physique

Le bien être se définit comme "un état de parfaite santé physique et mentale où l'animal est en complète harmonie avec son milieu" Hughes (1976). Les conditions de bien être des animaux en captivité sont difficile à préciser.
La vie libre et naturelle est hasardeuse et difficile et certains animaux sauvages préfère le confort de la captivité. Ainsi, il est délicat de rétablir dans son milieu naturel des animaux sauvages maintenus pendant quelques mois en captivité. Ils peuvent retourner vers la personne qui les a capturé et même essayer de réoccuper leur cage. La probabilité de survie est généralement supérieure chez les animaux en captivité à celle des animaux dans leur milieu (de nombreux mammifères ont une durée de vie doublée par la captivité).
Nous pouvons suspecter qu'un animal blessé ou malade est souffrant. Les éleveurs ont depuis longtemps établi des guides des signes de bonne santé (yeux brillants, fourrure brillante, plume brillante..) ou de maladie (apathie, perte d'appétit, ...).
Il faut évidemment satisfaire les besoins biologiques élémentaires, le besoin de sécurité (familiarité et stabilité), le besoin de maîtrise du milieu, le besoin d'appartenir à un groupe pour les animaux sociaux. On peut établir des catalogues d'indicateurs négatifs : activités stéréotypés, comportements pathologiques : léchage exagéré du corps entraînant des blessures, morsures de congénères, exagération des conflits, cannibalisme, rejet des jeunes, inapdaption du comportement sexuel.

L'absence de ces signes n'est pas suffisante et l'on peut rechercher des indicateurs positif de bien être: durée de vie, succès reproducteur, vocalisations et mimiques, comportements sociaux de reconnaissance et de confort (toilettage mutuel), des préférences... Mais ces signes ne sont pas infaillibles et doivent être comparés à dautres évidences.

6.2.2. Signes physiologiques

Il est en effet possible de détecter des modifications d'activités physiologiques internes: varitions hormonales, d'activité du cerveau, du coeur, variations de la température corporelle... Ce sont les signes de stress qui apparaissent dans de nombreuses situations. Ces modifications physiologiques sont adapatatives si les conditions qui les ont déclenchées ne persistent pas, elles peuvent devenir pathologiques autrement. Le problème est alors de savoir à quel étape des modifications physiologiques le processus cesse d'être adaptatif pour devenir pathologique et entraîne une souffrance.

6.2.3. Signes comportementaux

Ils présentent l'avantage de pouvoir être étudié sans interférer en aucune façon avec l'animal. Mais le problème sera de comprendre le code des animaux.
Il est possible de faire voter les animaux avec leur pied (expériences de choix entre différentes situations ou de possibilité de maîtriser le milieu). Mais, il faut y associer la notion de puissance de la préférence ou de force de l'aversion de l'animal pour une situation donnée. Néanmoins cela nous renseigne sur ce qui est plaisant ou déplaisant pour l'animal, sans nous indiquer avec certitude s'il souffre ou non.
Il faut réaliser une approche synthétique, utilisant l'ensemble des signes disponibles.

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6.3. Perception des causalités, mémoriser
La façon la plus générale de maîtriser le monde qui entoure l'animal consiste à établir des liens causaux entre les événements se produisant et si possible à anticiper.
Des rats sont mis face à toutes les possibilités d'association entre différentes sortes de stimuli : un signal sonore ou le goût sucré d'une solution de saccharine d'une part, la douleur provoquée par des chocs électriques ou un empoisonnement d'autre part (Garcia et al., 1974). De façon systématique, les rats imputent l'empoisonnement à la saccharine et la douleur au son et en aucun cas l'inverse. Ils peuvent ainsi développer une aversion gustative. Par contre, si après avoir été intoxiqués, ils ingurgitent un aliment nouveau juste au moment où ils récupèrent, ils développent une préférence pour cet aliment, comme s'il était responsable de leur bien-être.

La façon dont un animal perçoit les causalités dans le monde qui l'entoure est fonction de son équipement sensori-perceptif. Les animaux sont donc capables d'établir des relations de contiguïté temporelle et de contingence entre les événements se produisant dans l'environnement ou dans le milieu intérieur. Le résultat de ce processus est la formation d'une représentation mentale de la situation qui sert alors de guide à l'action. Il faut alors s'intéresser à la diversité des moyens dont dispose l'individu pour faire face à une situation et se souvenir que le degré de complexité des représentations internes diffèrent selon les espèces animales.

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6.4. Contrôler ou subir
Un individu face à une situation nouvelle peut-il la contrôler par un comportement actif ou la subit-il? Pour tester cette hypothèse, il faut exposer des sujets aux mêmes stimulations physiques mais dans des situations différentes.
Des rats reçoivent des chocs électriques douloureux délivrées par l'intermédiaire d'électrodes fixées sur la queue, afin que les animaux ne puissent pas varier l'intensité des chocs reçus par des modifications de posture. Les chocs sont délivrés au même moment et pendant la même durée pour tous les animaux. Ceux-ci peuvent faire tourner avec les pattes antérieures une roue située en face d'eux. Pour certains, cette action termine le choc électrique ou empêche son apparition ; ces animaux ont donc la possibilité de contrôler la situation. Pour les autres, cette action est totalement inefficace. Enfin un groupe témoin est placé dans le même dispositif expérimental mais ne reçoit aucun choc électrique. Après plusieurs heures de test, tous les rats ont été sacrifiés et la sévérité des ulcérations gastriques a été prise comme index de l'activation hormonale produite par cette procédure. Les rats qui pouvaient agir sur la situation ont fait moins d'ulcères gastriques que ceux recevant les mêmes chocs sans pouvoir modifier leur survenue. Le niveau d'ulcération gastrique ne rejoint celui des témoins non choqués que si le caractère incertain de la situation est levé par la présentation d'un signal sonore immédiatement après l'émission d'une bonne réponse (Weiss, 1972).

Le fait de pouvoir contrôler son environnement peut être bénéfique à court terme, en atténuant les conséquences de la confrontation à la situation à laquelle le sujet est exposé. Mais cette capacité de contrôle peut être bénéfique à plus long terme. Ainsi des rats élevés pendant deux mois dans des cages collectives munies de leviers pour obtenir l'eau et la nourriture et régler l'éclairement se révèlent moins émotifs (activité locomotrice et nombre de défécations) par la suite, quand ils sont placés dans un environnement nouveau que des animaux élevés dans des cages sans aucun contrôle.



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