4. Expérimentation animale et Vivisection
4.1. Historique
La notion d'expérimentation s'est mise en place lentement, à partir de descriptions et de leurs interprétations. Aristote (-384/ -322) réalisa un recensement ordonné de faits empiriques et l'édification synthétique d'une véritable théorie et il s'est intéressé à l'étude des similitudes et des différences entre parents et enfants. Certaines observations témoignent d'un effort de généralisation qui fait entrevoir un autre ordre de connaissance (en particulier en éthologie et en écologie). Il pensait qu'il y avait continuité entre l'homme et l'animal.
Il existe chez la plupart des animaux des traces de ces états de l'âme qui, chez l'homme, se manifestent d'une manière plus différenciée. Pour certaines de ces qualités les animaux ne diffère que par le plus et le moins ; pour d'autres qualités, il n'y a qu'un rapport d'analogie.
Chez l'enfant, il est possible d'observer comme les traces et les germes de ce qui doit constituer ses dispositions futures, aucune différence n'existant pratiquement à cette étape entre la vie de l'âme de l'enfant et celle de l'animal. |
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Aristote | Histoire des animaux |
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L'étude comparative lui servait de base à l'approche biologique et physiologique de l'homme (l'animal était déjà un substitut de l'homme).
Mais ce sont les oeuvres de Galien (130 - 201) et ses idées sur la physiologie et l'anatomie qui serviront de source dogmatique aux médecins pendant quinze siècles. Ses recommandations de s'appuyer sur l'expérimentation (dissection) et non sur les écrits furent oubliées.
| A partir de la Renaissance, l'observation directe et l'expérimentation (chirurgie) vont se développer lentement (Léonard de Vinci, 1452-1519 ; Vésale 1514-1564). La dissection des cadavres d'animaux permettait d'identifier la position des organes. Ces descriptions suppléaient à celles que l'on ne pouvait faire à partir de l'homme, étant donné le tabou sur la dissection des cadavres humains et la rareté des dissections. | |
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Puis Harvey (1578 - 1657) pratiqua la vivisection sur l'animal, dans le but de reconnaître sur le vivant les fonctions des organes, puis celles des tissus dont la dissection avait identifié la position sur le cadavre. Harvey fut aussi un des premiers à user de la quantification (mesure du volume sanguin) malgré la difficulté des mesures. Grâce à ces deux approches, il prouva la circularité du mouvement du sang, concept qui fonda la physiologie moderne.
Pour René Descartes (1596 - 1650) les animaux ne possèdent ni le pouvoir de raisonner abstraitement ni conscience d'eux-mêmes. Le corps humain ne relève que des seules lois mécaniques, comme celui des animaux (Traité de l'homme), mais cependant l'homme dispose en plus d'une âme immatérielle raisonnable. Le modèle général qui prévalait est celui des automates et correspondait à une vision mécaniste des êtres vivants.
La théorie de l'animal-machine (basé sur aucune expérimentation) est à la fois :
- une proposition épistémologique : analogies des animaux et celui des automates,
- une proposition théologique : distance infranchissable instaurée entre l'homme et l'animal. Si les bêtes souffraient, cela signifierait que le Créateur est injuste et cruel envers elles, mais comme elles sont aussi insensibles que des automates, Dieu est juste (Malebranche). Les hommes pouvaient se considérer libérés de tout soupçon
de crime, si souvent qu'ils mangeassent ou tuassent des animaux.
| Vaucanson (1709 - 1782) réalisa des automates pour tenter "d'obtenir l'intelligence expérimentale d'un mécanisme biologique". Cette idée se retrouve actuellement dans certaines études de robotique et d'intelligence artificielle qui privilégient la compréhension et la reproduction de comportements adaptatifs simples de certains animaux (modèles adaptatifs biomimétiques ; Le Monde, 16 mars 1999). | |
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Cependant, certains s'opposèrent à l'idée d'une telle différence entre les animaux et l'homme (Henry Moore, 1614 - 1687 ; Cureau de la Chambre, 1594- 1669 : existence de certaines formes de raisonnement chez les animaux et critique de la notion d'instinct). Malgré tout, le concept d'animal-machine se développa et fut généralisé à celui d'homme-machine (La Mettrie,
1747).
La prise en compte de l'apprentissage et de l'expérience permit la remise en cause de la notion de comportement instinctif et le développement d'idées transformistes (Darwin Erasmus, 1731-1802 ; Lamarck, 1744-1829 ; Cabanis, 1757-1809). Mais c'est autour du développement de l'utilisation de méthodes expérimentales que, dès cette époque, vont
s'opposer deux écoles : celle privilégiant les études au laboratoire (Cuvier, 1769-1832) et celle défendant l'observation des animaux dans leur milieu naturel (E. Geoffroy Saint-Hilaire, 1772-1844). Chacune se développa, la première en psychologie comparative (Flourens, 1794-1867) et la seconde en éthologie : "étude des relations des êtres organisés dans la famille et la société, dans l'agrégat et la communauté" (I. Goeffroy Saint-Hilaire, 1805-1861). Au même moment les travaux de Darwin Charles (1809-1882), Origin of species (1859), eurent une énorme importance sur l'étude des animaux. Il insista sur l'importance de la continuité animal-homme (Descent of Man, 1871) et sur la nécessité d'études comparatives (Expression of the Emotions in Man and Animals, 1872). Dans ce cadre, il faut admettre que l'homme a évolué a partir de formes animales inférieures, alors l'étude du fonctionnement physiologique et mental deviennent primordiale pour comprendre les précurseurs biologiques de l'humain.
Sir Lubbock (1834-1913) fut un pionnier pour la mise au point de méthodes de recherches sur le comportement des insectes, donc sur les méthodes de "poser des questions sans mots". En particulier, il mit au point la technique du labyrinthe et développa l'étude des phénomènes d'apprentissage et de résolution de problèmes avec l'aide de méthodes statistiques. Ces méthodes statistiques doivent aussi à F. Galton (1889) qui, pour expliquer le fait que les descendants de parents "extrêmes" pour un caractère comme la taille ou le poids semblaient n'hériter qu'une partie de cette différence et se rapprochait de la moyenne de la population, a développé sa "loi de la régression universelle", jetant les bases du calcul de "coefficients de régression". Une partie non négligeable de la terminologie actuelle est redevable à C. Lloyd Morgan (1852-1936) qui insista, aussi, sur l'utilisation d'expériences témoins, et énonça le Principe de parcimonie ou canon de Morgan "Il n'est pas nécessaire de faire appel à des structures psychologiques d'ordre supérieur (de type volonté ou pensée) quand des systèmes explicatifs plus simples (réflexes par exemple) peuvent rendre compte de façon adéquate d'un comportement donné". E.L. Thorndike (1874-1949) est souvent considéré, pour ses travaux sur l'intelligence animale au laboratoire,
comme le précurseur de l'expérimentation animale contrôlée. Parallèlement, C. Bernard développa la méthode et les principes fondamentaux de la physiologie, qui reposent sur des « vivisections zoologiques ». Mais il utilisait déjà des anesthésiants (éther et chlororforme).
Introduction à l'étude de la médecine expérimentale 1865 | C. Bernard
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On n'a pu découvrir les lois de la matière brute qu'en pénétrant dans les corps ou dans les machines inertes, de même on ne pourra arriver à connaître les lois et les propriétés de la matière vivante qu'en disloquant les organismes vivants pour s'introduire dans leur milieu intérieur. Il faut donc nécessairement, après avoir disséqué sur le mort, disséquer sur le vif, pour mettre à découvert et voir fonctionner les parties intérieures ou cachées de l'organisme ...
A-t-on le droit de faire des expériences et des vivisections sur les animaux? Quant à moi, je pense qu'on a ce droit d'une manière entière et absolue. Il serait bien étrange, en effet, qu'on reconnût que l'homme a le droit de se servir des animaux pour tous les usages de la vie, pour ses services domestiques, pour son alimentation, et qu'on lui défendît de s'en servir pour s'instruire dans une des sciences les plus utiles à l'humanité.... Nous avons dit quelque part dans cette introduction que, dans la science, c'est l'idée qui donne aux faits leur valeur et leur signification. Il en est de même partout. Des faits identiques matériellement peuvent avoir une signification morale opposée, suivant les idées auxquelles ils se rattachent. Le lâche assassin, le héros et le guerrier plongent également le poignard dans le sein de leur semblable. Qu'est-ce qui les distingue, si ce n'est l'idée qui dirige leur bras?.... |
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C'est aussi vers 1895 que le rat sauvage (Rattus norvegicus), difficile à manipuler, fut remplacé par le rat blanc, très différent de ses ancêtres, mais bien plus docile pour les expériences en laboratoire.
On voit ainsi que le terme de vivisection dérive de dissection et véhicule une forte charge émotionnelle. Selon les dictionnaires la vivisection est une "opération pratiquée à titre d'expérience sur les animaux vivants" (Petit Robert) ou une opération pratiquée sur un animal vivant pour l'étude des phénomènes physiologiques (Petit Larousse). Ce terme est donc équivalent à celui d'expérimentation animale qui lui est cependant préférable.
4.2. État actuel et évolution
La zoologie, la biologie, la physiologie, la biochimie, la pharmacologie, la toxicologie, la pathologie, la psychologie, l'éthologie, l'enseignement, mais aussi des industries diverses comme l'agriculture, l'agro-alimentaire, les cosmétiques, l'automobile, l'armement ..... utilisent de animaux pour la recherche, sans oublier les entreprises de loisir comme les jardins zoologiques. Toute l'expérimentation animale n'a donc pas la même finalité, et pour certains secteurs elle ne présente pas le même caractère
d'urgence que la recherche biomédicale. En France, le nombre total d'animaux utilisés à des fins expérimentales était de l'ordre de 4,8 millions en 1984 (17 à 22 millions aux États-Unis en 1987), 3,5 millions en 1990 (Contrepois, 1993), soit une diminution de 24,6% par rapport à 1984. Cette réduction en 1993 était de 19% par rapport à 1990 (soit 2,1 M animaux sacrifiés).
Utilisation d'animaux vertébrés en 1990 en France
en 1990 | en 1992
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| PRIVé | PUBLIC | TOTAL | % |
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Rongeurs
(Souris, rats,
cobayes,
Hamsters, ...) | 2 430 690 | 886 280 | 3 316 970 | 90,98
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Lapins | 66 549 | 47 224 | 113 773 | 3,1
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Singes | 2 183 | 949 | 3 132 | 0,1
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Carnivores
(Chiens, chats,
furets, autres) | 5 289 | 10 178 | 15 467 | 0,4
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Mammifères
(Caprins,
Ovins,
Bovins, ...) | 1 336 | 6 000 | 7 336 | 0,2
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Oiseaux | 46 280 | 45 172 | 94 452 | 2,5
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Autres
(Reptiles,
Amphibiens,
Poissons) | 158 | 86 325 | 86 483 | 2,3
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TOTAUX | 2 561 884 | 1 083 824 | 3 645 708 | 100
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D'après La Recherche, 1993, 24 : 1180-1188. | D'après Le Monde 1992 |
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Utilisation d'animaux vertébrés en 1990
en France,
suivant les secteurs d'activité
Recherche fondamentale | 32 %
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Recherche et développement en médecine humaine | 55 %
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Recherche et déloppement en médecine vétérinaire | 5,3 %
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Mise en oeuvre des diagnostics des maladies | 4,2 %
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Protection homme, animal, environnement | 1,8 %
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Enseignement et formation | 1,7 %
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Cette réduction du nombre d'animaux testés expérimentalement a été observée dans tous les pays développés, principaux utilisateurs d'animaux d'expérimentation dans le monde. Cette réduction tient à la fois à la rationalisation et à la diminution de l'utilisation des tests toxicologiques et des méthodes in vivo (remplacement par des méthodes de substitution), en particulier dans le domaine des cosmétiques (cas des laboratoires Yves Rocher, qui ont cessé l'expérimentation animale depuis 1989). Cependant, si ces méthodes alternatives, plus éthiques, sont souvent plus rapides, meilleur marché et plus efficaces au plan scientifique, elles ne reproduisent pas les interactions complexes qui ont lieu dans un organisme vivant. En particulier, dans le domaine de la santé humaine (sida, cancer, neurologie...), l'observation des réactions suite à l'application d'un protocole ou de l'ingestion d'un produit n'est possible qu'avec un être vivant complet. Ainsi, pour la Ligue française des droits de l'animal si l'expérimentation animale n'est pas acceptable, elle est, dans un certain nombre de cas, inévitable, nécessitant une tolérance partielle et momentanée (in Thérien).
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Ramousse