1ère Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 63-67.


ORGANISATION SOCIO-SPATIALE DE LA MARMOTTE ALPINE


Catherine PERRIN


1) EVOLUTION DE LA SOCIALITE CHEZ LES SCIURIDES TERRESTRES


L'étude de l'organisation socio-spatiale des Sciuridés suscite beaucoup d'intérât en raison de la grande diversité des niches écologiques occupées par les quelques 26l espèces connues. Les Sciuridés terrestres constituent un matériel éthologique de choix en raison de leurs moeurs diurnes et de la relative facilité avec laquelle on peut observer leur comportement. De plus, ce groupe est un modèle intéressant pour étudier l'évolution de la socialité chez les vertébrés, car on y trouve un large éventail de systèmes d'organisation socio-spatiale allant de la défense de territoires individuels à la constitution de harems égalitaires. Plus précisément, Michener (1983) a identifié chez les Sciuridés terrestres Nord-américains cinq niveaux de structure sociale le long d'un continuum dont l'unité sociale de base est la famille dirigée par la mère.
La vie en milieu ouvert impliquant le regroupement des individus (nourriture herbacée concentrée, pression de prédation forte), la coïncidence des cycles d'activité des jeunes et des adultes assurant le développement de la cohésion du groupe, ainsi que la densité de population qui peut influencer la stratégie d'appariement donc l'organisation socio-spatiale d'une population, sont trois facteurs considérés comme des conditions facilitantes de l'évolution de la socialité chez les Sciuridés terrestres. Le principal déterminant du niveau de socialité atteint serait le report de la maturité sexuelle lié à une saison d'activité courte ou à une mauvaise alimentation et à une taille corporelle élevée (Armitage, 198l).
Armitage considère le retard de la dispersion et donc la socialité comme une tactique d'histoire de vie. Chez les espèces dont la progéniture ne peut pas âtre mature en une saison, les parents continuent à investir dans les jeunes au-delà du sevrage en fournissant une source de nourriture, une meilleure protection contre la prédation et un hibernaculum, augmentant ainsi la probabilité de produire des descendants reproducteurs.

2) INTERACTION SYSTEME COMPORTEMENTAL - SYSTEME POPULATIONNEL : MODELE DE LA MARMOTTE

La marmotte à ventre jaune (Marmota flaviventris) vit en harems consistant en un mâle adulte, une ou plusieurs femelles, des jeunes de un an et des jeunes de l'année. La dispersion des un an est un point important dans la régulation de la densité de population. De plus, la plupart des femelles résidentes sont recrutées dans leur colonie natale.
Une étude à long terme effectuée par l'équipe d'Armitage aux U.S.A. sur la marmotte à ventre jaune a révélé des variations considérables dans le comportement social de cette espèce. Chaque individu a un profil comportemental qui affecte non seulement ses relations avec les autres marmottes, mais aussi la distribution spatiale et la dynamique de population de ces animaux. Les taux de comportements sociaux sont associés à la structure d'âge et de sexe de la population, si les animaux ont vécu ensemble avant, à la manière dont l'espace est partagé, et aux caractéristiques comportementales individuelles des résidents et des recrutés potentiels. A partir de ces éléments, Armitage a construit un modèle reliant le comportement social à la dynamique de population. Dans ce modèle, la densité comportementale est le facteur contrôlant le recrutement. La densité comportementale est fonction du nombre d'animaux de chaque type comportemental présent dans la population. Ainsi la population consisterait en un spectre comportemental, présent dans chaque génération. A partir de celui-ci des types comportementaux particuliers émigreraient ou deviendraient résidents dans leur population natale. La résidence ou l'émigration résulte de l'interaction des types comportementaux des recrutés potentiels avec le spectre comportemental des adultes résidents.
Les marmottes fournissent une opportunité inhabituelle de tester ce modèle, parce que le profil de chaque individu peut âtre mesuré sur le terrain et le comportement social peut âtre observé directement dans l'habitat naturel de l'animal.

3) BUT DE L'ETUDE

L'organisation sociale des Sciuridés terrestres Nord-américains fait l'objet de nombreuses études depuis plus de 20 ans. Quatre espèces de marmottes sont particulièrement bien connues (M. monax, M. flaviventris, M. olympus, M. caligata). Les espèces eurasiennes, quant à elles, sont peu étudiées ; en l'occurence, l'organisation sociale de Marmota marmota, malgré quelques études, reste à âtre clarifiée.
Le but de ce travail est donc de fournir de nouvelles informations sur l'organisation socio-spatiale de cette espèce, en décrivant trois aspects majeurs : la composition de l'unité sociale et sa dynamique, l'analyse des interactions sociales, l'utilisation de l'espace.


4) RESULTATS

Rappels brefs de méthodologie:

L'étude éco-éthologique de la marmotte a commencé en juin 1990 dans la Réserve Naturelle de la Grande Sassière (Parc National de la Vanoise).
Les marmottes sont capturées avec des pièges-boîtes, puis pesées et tranquillisées. Les classes d'âge et de sexe sont déterminées respectivement à partir de la masse corporelle et de la distance ano-génitale. Puis les animaux sont marqués (marquage auriculaire + coloration du pelage). L'étude du comportement a été réalisée pendant deux saisons successives (1990-91) de juin à fin septembre par observation directe et indirecte (enregistrement vidéo).

Composition de l'unité sociale :

La marmotte alpine vit en groupes familiaux dans lesquels les individus partagent un domaine vital commun et hibernent ensemble. La composition typique est un couple d'adultes reproducteurs et des jeunes issus de portées successives. Il existe également des individus dits périphériques qui vivent près d'un groupe sans avoir de contacts sociaux avec les membres du groupe, excepté des interactions agonistiques de la part du mâle résident. Il existe aussi des individus dits "passagers" qui se déplacent à travers une localité sans y rester. Dans les deux cas, nous n'avons observé que des mâles, soit dispersants, soit ex-territoriaux évincés.
Lorsqu'il y a reproduction, une seule portée par groupe est observée, ce qui laisse supposer que le système d'appariement de la marmotte alpine est la monogamie.
Les animaux peuvent âtre matures sexuellement à 2 ans, mais ne se reproduisent pas avant 3 ans. Ils restent dans leur groupe natal au moins jusqu'à l'âge de 2 ans, et parfois au-delà. Ce report de la dispersion peut en partie âtre interprété, selon l'hypothèse d'Armitage, comme un investissement parental prolongé, augmentant la probabilité de survie des descendants et leur reproduction. Arnold (1990) explique le report de la dispersion chez la marmotte alpine en partie par cette théorie mais suggère que les adultes subordonnés pourraient âtre tolérés aussi à cause des bénéfices liés à leur présence notamment lors de l'hibernation par la thermorégulation sociale. D'après nos observations nous pensons que les subordonnés pourraient également intervenir dans la défense du territoire du groupe, et prévenir l'infanticide, qui a une plus grande probabilité d'occurrence lorsqu'il n'y a pas de subordonnés dans le groupe.

Interactions sociales :

Les taux d'interactions diminuent au cours de la saison. Les comportements de reconnaissance et cohésifs constituent l'essentiel des interactions au sein du groupe, alors que les interactions entre individus de groupes différents sont essentiellement agonistiques et sont peu fréquents. On observe néanmoins des différences d'un groupe à l'autre en relation avec les événements sociaux s'y déroulant :
  • dans un groupe la forte contribution des interactions agonistiques est liée à la dispersion de 2 mâles de 2 ans. Des taux élevés de menace et de poursuite étaient réalisés par le mâle adulte vis-à-vis des mâles de 2 ans futurs dispersants.
  • dans un autre groupe où les interactions agonistiques sont quasiment absentes, des jeunes sont nés et il y a eu recrutement des 2 individus de 2 ans.
    Des différences de taux ont été observées entre les classes d'âge et de sexe. Les adultes jouent très peu à l'inverse des 2 ans et des 1 an, ces derniers jouant plus longtemps dans la saison que les 2 ans.
    Des différences individuelles dans une mâme classe d'âge ont également été observées, en relation avec le contexte du groupe et probablement d'autres facteurs (apparentement, profil comportemental individuel...).

    Utilisation de l'espace :

    Le domaine vital comprend une zone centrale (système des terriers principaux où se trouve l'hibernaculum et le terrier de mise-bas) et une zone périphérique où l'on trouve des terriers secondaires.
    Le nombre d'entrées de terriers sur le domaine vital est compris entre 100 et 135, soit 3 à 5/1000 m2, et le nombre de latrines de 45 à 188, soit 2 à 6/1000 m2; les latrines les plus importantes se situant sur le système principal.
    La taille du domaine vital du groupe est comprise entre 2,65 et 4,13 ha, et est corrélée positivement à la taille du groupe. Les domaines vitaux individuels s'échelonnent entre l,15 et 3,07 ha, ceux des adultes et des 2 ans étant supérieurs à ceux des un an. Le recouvrement moyen entre 2 groupes est de l'ordre de 8 à 12%, alors que celui entre individus de mâme groupe est de l'ordre de 60 à 90%.
    L'utilisation de l'espace varie entre individus et au cours de la saison. Le système principal est la zone la plus fréquentée, certaines activités, telles que les postures et les interactions sociales intragroupe n'ont lieu pratiquement que là.
    La zone périphérique est essentiellement utilisée pour l'affouragement. Celui-ci tend à augmenter en août et à diminuer en septembre, les marmottes restant de plus en plus sur le système principal alors que la période d'hibernation approche.

    5) CONCLUSION

    Cette étude confirme la tendance sociale de M. marmota selon la classification de Michener des différents types d'organisation sociale chez les Sciuridés terrestres. Le système social de M. marmota est proche de celui des espèces Nord-américaines M. olympus et M. caligata.
    Les résultats de ce travail fournissent une base de documentation pour l'étude des mécanismes comportementaux de la dispersion et des hypothèses portant sur la rétention des jeunes.

    BIBLIOGRAPHIE

    Armitage K.B. (1981). Sociality as a life-history tactic of ground squirrels. Oecologia, 48 (1) : 36-49.
    Arnold W. - (1990b). The evolution of marmot sociality : II. Costs and benefits of joint hibernation. Behav. Ecol. Sociobiol., 27 : 239-246.
    Perrin C. & Allainé D. (1991). Organisation sociale, utilisation de l'espace et répartition des activités chez la marmotte alpine dans la réserve de la Grande Sassière (Parc National de la Vanoise). C.R. 116° Congrès des Sociétés Savantes, Chambéry, sous presse.
    Perrin C., Allain é D., Le Berre M. (1993). Socio-Spatial Organization and Activity Distribution of the Alpine Marmot Marmota marmota. Premiminary results. Ethology, 93: 21-30.
    Perrin C., Allainé D., Le Berre M. (1993). Male intrusion and infanticide in alpine marmots. Soumis.
    Perrin C., Coulon J. & Le Berre M. (1993). Social behaviour of alpine marmot (Marmota marmota): seasonal, group and individual variability. Can. J. Zool. (soumis ).
    Perrin C., Le Berre M. and Le Guelte. L. (1991). Spatial and temporal variations of activities during summer in the alpine marmot (Marmota marmota). Proc. 1st International Symposium on Alpine Marmot and on Genus Marmota., Bassano B., Durio P., Gallo Orsi U., Macchi E., Eds., 101-108.
    Michener G.R. (1983). Kin identification, matriarchies and the evolution of sociality in ground-dwelling Sciurids, 528-572. In Advances in the study of mammalian behavior, J.F. Eisenberg and D.G. Kleiman eds, American Society of mammalogists, special publication n°7.


    Remerciements

    Ce travail, support d'une thèse de doctorat (Université Paris 7 - Museum National d'Histoire Naturelle), a été réalisé grâce au soutien financier du Ministère Français de l'Environnement (Contrat EGPN) et du Ministère de la Recherche (contrat CNRS, Programme Environnement). Ils ont pu se dérouler grâce au soutien actif de l'administration et des agents du Parc National de la Vanoise, que nous tenons à remercier.

    A suivre...

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