4ème Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 21-30.
ISBN : 2-9509900-3-7

Rythme d'activité de Marmota camtschatica bungei (Kastchenko 1901) pendant l'été arctique en Yakoutie

Youri Semenov
Institut de Biologie de Yakoutie (Russie) & Laboratoire Socioécologie & Conservation,
UFR de Biologie, UCBL1, 69622 Villeurbanne, Cedex, France.

Résumé : L'activité au cours de la journée de Marmota camtschatica bungei a été étudiée sur le territoire de la réserve d'Oust'-Lenski dans le cadre de l'expédition arctique internationale du Centre International Yakoute pour le développement des Territoires du Nord en 1994. Les activités de deux groupes familiaux de marmottes (3 adultes et 5 marmottons) ont été suivi 24 heures sur 24 au mois de juillet. En condition de jour permanent, les individus sont actifs 14 à 15 heures de 6-7 heures du matin à 21-22 heures, et un rythme bimodal. Les animaux font de nombreuses entrées et sorties hors du terrier, les séjours diurnes dans le terrier sont plus fréquentes pour les marmottons que pour les adultes. L'alimentation et le repos hors du terrier représentent chacun 15% du temps d'activité diurne. Mots clés : Marmota camtschatica , écologie, rythme d'activité ,été arctique, alimentation, adulte, marmotton, Russie.

Abstract: On the ecology of Marmota camtschatica bungei in Yakutia. Diurnal activity of Marmota camtschatica bungei was studied in the Ust-Lensky reserve during the International Arctic Expedition organized by the International Yakut Centre for the development of North Territories in July 1994. Activities of two familial group (3 adults and 5 new-born) were followed along the 24 hours of the permanent day. In these conditions, animals were active 14 to 15 hours , from 6-7 a.m. and 9-10 p.m., with a bimodal rhythm. Animals entered frequently in burrows during the diurnal period, new-born more often than adults. Foraging and rest out of the burrow periods represented each 15% of the diurnal period activity.
Key Words: M. camtschatica, ecology, activity rhythm, arctic summer, foraging, adult, new-born marmot, Russia.

Introduction

La marmotte à tête noire (Marmota camtschatica ) est un rongeur de la famille des Sciuridae, diurne et hibernant (8-9 mois, de mi-septembre - début octobre à début - fin mai ; Kapitonov 1963). Son aire de répartition caractéristique est la toundra de montagne dont l'altitude varie de 100 à 1500 m (Kapitonov 1963). Elle se reproduit une fois par an, l'accouplement a lieu avant la première sortie du terrier d'hibernation (Kapitonov 1961 a, b ; Vasiliev 1989). L'intérêt pour sa biologie et son écologie est déterminé par son importance pour les populations humaines autochtones (fourrures, source d'alimentation, graisse, remède contre les maladies respiratoires, les brûlures et quelques maladies de peau (Kapitonov 1978), ainsi que par son adaptation aux dures conditions des systèmes montagnard de l'Asie du nord-est. Le pergélisol ne permet que des abris, peu profond (0,25-0,61 m) (Kapitonov 1963, Vasiliev 1989). L'hiver est de longue durée (température moyenne de novembre à février : -33 à -35 C et, en janvier elle atteint -50 C), suivi d'une période d'été courte (de juin à août, la température moyenne est +14,5 C, mais elle peut baisser occasionnellement en dessous de 0 C).

L'écologie de M. camtschatica en Yakoutie est insuffisamment étudiée. Les données actuelles sur les populations, même de secteurs isolés, sont fragmentaires. Des recherches sur la distribution et l'écologie de cette marmotte ont été réalisées par Kapitonov dans les années 50-60. Depuis, cette espèce est restée hors de l'attention des chercheurs. L'Institut de Biologie de Yakoutie a commencé des recherches sur l'écologie et la biologie de M. camtschatica dans les années 80. En 1984, le recensement a montré que l'effectif de ses populations avait beaucoup diminué (Recensement des marmottes de l'ensemble de l'URSS, 1984). Actuellement, deux populations de M. camtschatica (Kondakovskaya et Ioujno-Yakoutskaya) sont inscrites dans le Livre Rouge des espèces menacées de Yakoutie (1987).

Notre étude porte sur la description du rythme d'activité de M. camtschatica au cours de l'été arctique.

Site d'étude

Nous avons réalisé nos recherches en 1994 (du 29 juin au 9 août) sur le territoire de la réserve d'Oust'-Lenski (extrême nord de la Yakoutie, latitude : 71 55'-72 24', longitude : 126 57'-128 59', altitude : de 0 à 370 m. ; figures 1 et 2), dans la toundra montagneuse de Kharaoulakh, dans le cadre de l'expédition arctique internationale du Centre International Yakoute pour le Développement des Territoires du Nord, en collaboration avec des chercheurs du laboratoire de Socioécologie et d'Ecoéthologie de l'Université Claude Bernard de Lyon.

Figure 1. Distribution et densité de la marmotte à tête noire en Yakoutie

Figure 2. Sites de l'étude en 1994. Réserve naturelle de l'Oust-Lenski

Ancienne base géologique de l'Université d'état de Yakoutie ; 2. Poste de garde Belaya Skala, près de la rivière Antakalaan ; 3. Montagnes proches des rivières Sobol'-Yuyakh et Tchikte ; 4. Station météorologique de Stolb.

Matériel et méthodes

Nous avons étudié la distribution spatiale à l'aide d'un GPS dans 3 secteurs. Les surfaces de ces secteurs sont de 250, 570 et 700 hectares.

A l'aide de jumelles 10x50, nous avons observé deux groupes familiaux de même composition : 3 adultes, 5 marmottons, du 14 au 28 juillet (65 heures). Lors de l'observation, nous avons considéré les marmottes non visibles comme absentes en surface. Le nombre total de marmottes dans le groupe est donc le nombre maximal de toutes les marmottes visibles en surface durant toute la période des observations.

Résultats

L'altitude d'installation des populations de marmottes dans les monts Kharaoulakh baisse à mesure que l'on avance vers le Nord et que s'abaisse l'altitude absolue des montagnes. Enfin, dans la région du delta de la Lena, les marmottes peuvent habiter à une altitude de 15-20 m au-dessus du niveau de la mer.

A la base de la structure spatiale de M. camtschatica , il y a le groupe familial qui occupe, pendant des années, un domaine vital déterminé comprenant pâturages et abris. Chaque groupe familial utilise un système de terrier principal ainsi qu'un ou plusieurs systèmes de terriers secondaires, reliés par des pistes. Pendant l'été, des individus solitaires, probablement les jeunes émigrants, chassés de leur domaine natal par les adultes (Kapitonov, 1963), occupent des terrains pierreux situés entre des domaines vitaux voisins.

Pour la journée complète (24 h) de la seconde moitié de juillet nous avons chronométré les principales catégories d'activités suivantes : 1- repos nocturne à l'intérieur du terrier, 2- alimentation, 3- repos hors du terrier, 4- durée de séjour diurne dans le terrier. La catégorie 5 (autres activités : déplacement hors du terrier, jeux, comportements d'appariement, soins corporels, etc.) a été calculée en retranchant la somme totale des durées des quatre premières catégories d'activités, car son chronométrage était difficile. Leur répartition, pour les adultes et les marmottons, est présentée dans les figures 3 et 4.

En juillet, dans les conditions du jour polaire (il fait jour en permanence), les marmottes sont actives 14 ou 15 heures par jour. Le premier individu sort du terrier entre 6 et 7 heures du matin, les derniers rentrent dans leur terrier entre 21 et 22 heures. Donc, le temps de repos nocturne à l'intérieur du terrier dure en moyenne 8 h 30, soit 35,4% de l'activité globale journalière. Les marmottons commencent à se nourrir d'aliments végétaux comme les adultes seulement à la fin de juillet. Avant cela, leur prise de nourriture hors du terrier était peu importante.

L'activité de M. camtschatica est caractérisée par de fréquentes entrées et sorties du terrier. Les périodes continues de temps passé hors du terrier sont plus longues le soir et le matin. A la différence des individus adultes, les marmottons, surtout en plein jour, se cachent beaucoup plus souvent pour de courts instants dans les terriers (figures 5 & 6).

Dans l'ensemble, l'activité journalière semble peu affectée par les mauvaises conditions météorologiques. Nous n'avons relevé aucun cas de comportement agonistique, ce qui est probablement lié à la faible densité de la population. Les domaines vitaux des groupes voisins sont, en général, séparés par de grands espaces. Donc, les probabilités de rencontre entre individus de différents groupes sont réduites et la concurrence pour les meilleurs territoires est minimum (Kapitonov, 1978).

Discussion

Le début d'alimentation en végétaux des marmottons, relativement tardif, peut probablement s'expliquer par le fait que la période de lactation a duré jusqu'à la fin du mois de juillet. Un indice va dans le sens de cette hypothèse : pendant la période diurne, la durée de séjour dans le terrier prédomine sur toutes les autres catégories d'activités journalières.

Les différentes durées d'activités continues hors du terrier au cours de la journée pour les marmottes s'expliquent peut-être par le facteur de stress thermique (Bibikov, 1989) : au soleil la marmotte se surchauffe, tandis que dans le terrier sa température diminue.

M. camtschatica garde son biorythme en condition de jour polaire. Alors, la lumière continue ne semble pas jouer de rôle prépondérant. Les variations de la température ambiante, élevée en période diurne (de +10 au +15 C) et faible en période nocturne (+3 au +7 C), pourraient contribuer à synchroniser le rythme des animaux. Tandis que chez Marmota marmota le début et la fin de la période d'activité sont liés à l'heure de lever et de coucher du soleil, et varient de façon concomitante au cours de la saison (Perrin, 1993).

D'après Kapitonov (1963), l'influence cumulée des prédateurs, des parasites et des maladies se reflète peu sur le nombre de marmottes dans les Monts Kharaoulakh. C'est le braconnage qui a les effets les plus dévastateurs sur l'effectif des marmottes, en particulier le déterrage des abris d'hibernation, qui entraîne la disparition complète de populations isolées.

Actuellement, 16 marmottes, capturées dans le Verkhoïan central, sont maintenues en captivité par les chercheurs de l'Institut de Biologie de Yakoutie, dans la ferme expérimentale industrielle "Pokrovskoïe". Cette année, pour la première fois, on a obtenu une portée (4 marmottons). Les résultats de ce travail seront utiles pour la conservation du fond génétique, pour la réacclimatation et le renforcement numérique de cette espèce endémique de l'Asie du nord-est, et également dans la perspective de son élevage pour la population humaine locale.

Bibliographie

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