Résumé : Depuis 1980, 108 marmottes (sept lâchers)
ont été introduites sur deux sites du massif de Mézenc
(Ardèche). Des comptages réguliers font apparaître, depuis
l'arrêt des lâchers, une progression de 49% de la population en
trois ans. Seize ans après les premiers lâchers, il apparaît
de façon indéniable que la population de marmottes des Alpes
s'implante dans le massif du Mézenc.
Mots-Clés : Marmota marmota, introduction, Ardèche,
France.
Abstract: Survey of the Alpine marmot population of the
Mézenc Massif.
Since 1980, 108 Alpine marmots (seven releases) were reintroduced in two
different sites of the Mézenc Massif. Regular counting showed since
the stopping of releases a 49% increase of the population. Sixteen years after
the first release, it appears clearly that the population of Alpine marmot
settled in the Mézenc Massif.
Key-words: Marmota marmota, introduction Ardèche,
France.
En Ardèche, les massifs du Mézenc et du Tanargue ont bénéficié de ces opérations menées par le Service Départemental de Garderie de l'Office National de la Chasse avec l'assentiment de la Fédération Départementale des Chasseurs. Le département de la Haute-Loire a ensuite été colonisé naturellement par les marmottes issues de ces lâchers.
Parmi les motivations des instigateurs de ces opérations, on peut citer la recherche de la biodiversité dans ces massifs vierges de gibier de montagne et l'installation d'une proie supplémentaire pour l'aigle royal qui tente de se réimplanter en Ardèche, après quarante ans d'absence en tant que nicheur.
La Fédération Départementale des Chasseurs de l'Ardèche participe, pour sa part, à une opération de prestige et de relations auprès des autres utilisateurs de la nature, la marmotte étant protégée par Arrêté Préfectoral en Ardèche.
Dans la suite logique de ces lâchers, la population de marmottes du Massif du Mézenc fait l'objet d'un suivi par les Gardes du Service Départemental dont nous allons vous présenter les principaux résultats.
Le sol de cette région écologique est constitué d'un socle granitique recouvert d'une carapace volcanique caractérisée par la présence de nombreux sucs (dômes rocheux de type "Gerbier de Jonc) et d'éboulis. A l'est du massif, le versant méditerranéen très pentu contraste avec le bassin atlantique à l'ouest, formant plateau.
La zone étudiée, d'environ 100 km2, comprise entre 1200 et 1750 mètres d'altitude fait partie de l'étage montagnard supérieur et de l'étage subalpin. Les paysages sont constitués pour moitié de milieux fermés (hêtraie-sapinière et reboisements artificiels). Les prairies, landes et pelouses représentant l'autre moitié sont potentiellement colonisables par les marmottes.
Le climat subit une multitude d'influences (atlantique, méditerranéenne, continentale). Il est caractérisé par des étés frais et courts (9deg.8 C de moyenne estivale), des hivers longs et très frais (180 jours de gel par an) et enneigés (3 à 4 mois d'enneigement : 2,5 à 3 m d'épaisseur de neige en moyenne hivernale cumulée).
Au moment de la dernière guerre mondiale, la région du Mézenc était fortement peuplée et la déforestation avait atteint son maximum, notamment sous la pression du pastoralisme. Depuis la seconde moitié du siècle, un fort exode rural a favorisé l'extension des landes et des boisements et l'avenir d'une population de marmottes est intimement lié au maintien d'une forte activité d'élevage. En effet, seul le pâturage ou la fauche des zones herbeuses pourront maintenir un habitat favorable aux marmottes et la pérennité de leur installation. Aujourd'hui, l'exploitation forestière (forte présence de forêts domaniales) et l'élevage bovin représentent les activités principales de la région.
Les paysages sont désormais constitués pour moitié de milieux fermés (hêtraies, sapinières et reboisements artificiels). Les prairies, landes rases et pelouses représentant l'autre moitié sont potentiellement colonisables par les marmottes. Dans les milieux ouverts situés près des sommets, on note la présence d'une flore très variée et originale (128 plantes arctiques ou montagnardes poussent dans le massif).
La progression du tourisme vert lié à l'observation de l'environnement et sportif (parapente) peut occasionner quelques dérangements ponctuels. Mais ils restent suffisamment diffus pour ne pas mettre en danger le développement de la population.
Il en est de même pour l'activité cynégétique. En effet, le lièvre s'avère être le seul animal chassé régulièrement dans les zones où sont installées les marmottes. La chasse au chien courant qui est pratiquée à cette occasion les perturbe seulement en début de saison, avant l'hibernation.
La marmotte ne fait pas l'objet d'une demande de chasse de la part des chasseurs locaux. Sa présence est en général très appréciée par la population autochtone et les visiteurs du Massif. Seuls, quelques agriculteurs s'inquiètent d'éventuels dégâts dans les prairies de fauche.
Ces animaux proviennent de captures effectuées par les Gardes des S.D.G. de l'Ardèche et de la Savoie, dans deux communes de Haute-Maurienne (73) : Bessan et Lanslebourg, à des altitudes comprises entre 1600 et 2400.
Sur des périodes de trois à quatre jours, les marmottes ont été capturées à l'aide de pièges à mâchoires, sans que soit privilégié la prise de cellule familiale. Cinq à six heures de voyage en véhicule automobile sont nécessaires pour parvenir sur les lieux d'introduction.
Les marmottes ont été lâchées dans des éboulis situés en milieu ouvert sur deux sites principaux distants de 7 km :
- Site de Borée-La Rochette, sur le bassin du Rhône, au pied du Mont Mézenc, de 1980 à 1991 : 6 lâchers de 69 individus au total.
- Site de Le Béage, sur le bassin de la Loire, au pied du Suc de la Lauzière et 1989 et 1991 : 39 individus. Aucun des animaux lâchés n'a été préalablement marqués.
Ces points d'observation se sont multipliés dans le temps en relation avec l'augmentation du nombre de sites occupés par les animaux. Par observation directe et en l'absence d'intempérie, chaque site est compté entre cinq et dix fois par saison, suivant son importance. Au plus chaud de l'été, les débuts et les fins de journées, plus favorables à l'activité des animaux, sont privilégiés.
Le plus souvent, le nombre retenu pour chaque site donné est le plus important constaté par les observateurs lors de la saison de comptage. Il est fait éventuellement exception à cette règle lorsqu'il est constaté un déplacement vers un nouveau site, un regroupement ou une mortalité.
L'hiver, des recherches d'indices de présence (terriers) sont effectuées dans les zones favorables. De plus, un réseau d'informateurs complète nos connaissances, notamment en ce qui concerne les nouvelles installations.
Le taux de reproduction constaté par le suivi varie fortement d'une année sur l'autre. Le pourcentage de marmottons par rapport à l'ensemble de la population s'échelonne de 9,5% en 1992 à 31% en 1988 ; la moyenne se situant à 15%.
Le nombre de marmottons observés par portée est en moyenne de 2,35.
- Le site d'introduction de Borée-La Rochette est fortement colonisé grâce à 6 lâchers successifs et à la présence de nombreux pierriers. Ainsi tout le pourtour du Mont Mézenc est occupé par les marmottes.
Cependant des animaux issus de ces lâchers ont été repérés temporairement à plus de 20 km. L'implantation permanente la plus éloignée est distante de 10 km du site d'introduction.
- Le second site de Le Béage est faiblement peuplé malgré un lâcher important de 32 individus en 1989 suivi d'un renforcement de 7 marmottes en 1991.
Dix communes sont partiellement occupées par la population de marmottes : six en Ardèche et quatre en Haute-Loire. Quatre autres sont situés en limite immédiate de colonisation.
Répartition de la marmotte dans les départements de l'Ardèche et de la Haute-Loire
L'installation semble liée à la présence de pierriers que ce soit en zone ouverte ou plus forestière. Des ruines ou des murets pallient en partie l'absence d'éléments rocheux naturels dans certains pâturages.
- Les lâchers sont suivis rapidement de pertes importantes.
- Jusqu'en 1991, le nombre d'animaux installés n'avait pas atteint le seuil suffisant pour permettre un développement plus conséquent.
- La fragmentation des milieux ouverts et fermés ainsi que la rareté des éboulis dans certaines zones herbeuses ralentissent les possibilités d'installation.
- Les populations de prédateurs potentiels (renard, autour des palombes) limitent la réussite de la reproduction.
- L'exode rural induit une progressive fermeture du milieu avec notamment une forte augmentation des landes à genêts au détriment des pâturages.
Faute de référence précises sur les populations de marmottes réintroduites, il est difficile de parler de réussite pour cette tentative. Le protocole de comptage prenant mal en compte les éventuelles fluctuations de population en cours de saison pourrait s'améliorer en consacrant davantage de temps à ces opérations. La pression d'observation devrait s'intensifier en été pour mieux cerner la reproduction.
Dans l'avenir, si des lâchers de renforcement s'avéraient nécessaires, il faudrait privilégier des apports réduits d'individus, regroupés par familles déjà constituées sur les lieux de reprises. Ces groupes devraient provenir d'origines variées pour accroître la diversité génétique.
Malgré de rares plaintes concernant la présence de terriers dans des prairies de fauche, une grande partie des utilisateurs de l'environnement sont favorables à l'implantation d'une population de marmottes viable à long terme.
Ces animaux, outre leur évident intérêt touristique, participent à la diversification faunique et au maintien de l'ouverture des paysages du massif. La formation d'un couple d'aigles royaux depuis quelques années dans le département a sans doute été favorisée par la présence d'une nouvelle proie. Les observations répétées de ces prédateurs au-dessus des colonies de marmottes en témoigne. Outre ces paysages exceptionnels, le massif du Mézenc est réputé pour ses grandes richesses minérales et botaniques. Il possède désormais un attrait supplémentaire : la marmotte des Alpes.
Nous remercions également Michel Catusse (C.N.E.R.A., Faune de montagne O.N.C.) et Raymond Ramousse (Laboratoire de Socioécologie et Conservation, Université Claude Bernard Lyon 1) qui, par leurs pertinentes observations, nous ont permis d'améliorer ce manuscrit.