Résumé
Bien que la génétique mendéllienne suppose une
sex-ratio équilibrée chez les mammifères, il n'est pas
rare d'observer une déviation plus ou moins importante chez
différentes espèces appartenant à tous les groupes de
vetébrés supérieurs. Une telle déviation semble
exister dans une population de marmotte alpine Marmota marmota
(mammifère monogame et territorial) alors que les explications
proposées à ce jour reposent principalement sur un systeme
d'appariement polygame. Afin de confirmer ce biais de la sex-ratio et de tenter
de l'expliquer, une étude éco-éthologique à
été entreprise pour déterminer si le taux de croissance et
les stratégies comportementales différent suivant le sexe et
l'exposition du domaine vital des groupes familiaux considérés.
Summary
50% male and 50% female offspring (sex ratio = 0.5) are expected under
mammals "X/Y" sex determination theory. Nevertheless, many cases of
extraordinary sex ratio are known in mammals. Male bias seems to occur in
Alpine marmot Marmota marmota population. At this time, all hypotheses
to explain sex ratio variation concerned polygynous mating system but
explanation about the Alpine marmot which is a monogamous and territorial
mammals are needed. To confirm sex ratio variation in the alpine marmot, we
started an écoéthological study in the french Alpes. In
particular, we investigates for the relationships between body weight
development and behavioural strategies on one hand, and between sex ratio and
exposure to sun of the home range on the other hand.
Les hypothèses avancées à ce jour se replacent toutes dans un cadre néo-Darwinien et présentent les sex-ratio déséquilibrées (différente de 1:1) comme des stratégies visant à maximiser la valeur sélective des individus. Ceci implique qu'il existe au moins un facteur spécifique d'un sexe, discriminant mâles et femelles et qui permet aux parents, en jouant sur le nombre respectif de leurs descendants des deux sexes, de maximiser la représentation de leurs gènes dans les générations futures. Polygynie, coût d'élevage, comportements spécifiques de l'un des sexes ou envers l'un des sexes, rang social, sont souvent cités comme à l'origine des variations observées de la sex-ratio (Williams 1979, Clutton-Brock 1991).
Chez les espèces de mammifères monogames, mâles et femelles sont considérés d'une part, comme n'ayant qu'un seul partenaire pour chaque cycle de reproduction et d'autre part, comme prenant en charge à part égale l'élevage des jeunes. Dans ces conditions, on suppose que mâles et femelles sont "égaux". Par conséquent, la théorie prévoie que les facteurs cités précédemment ne s'appliquent pas, ce qui expliquerait l'absence de biais de la sex-ratio que l'on observe généralement chez les espèces ayant ce type de système d'appariement. Grâce au Parc National de la Vanoise, une campagne d'étude à propos d'un tel mammifère : la Marmotte Alpine Marmota marmota a pu débuter dès 1990, au Vallon de la Sassière (Savoie-73). Contrairement à notre attente, les observations régulières durant toute la saison d'activité de cet animal ainsi que l'examen des données de piégeage, semblent pourtant indiquer l'existence d'une déviation de la sex-ratio à l'émergence en faveur du sexe masculin (Cf. tab. 1 : t=2.235, p<0.05), et qui s'est s'accentuée l'année suivante (Cf. tab. 2, t=2.490 , p<0.05).
Dès lors, le laboratoire de socioécologie et d'éthologie de l'Université Claude-Bernard - Lyon I, a entrepris dans le cadre d'un D.E.A. et ce depuis l'été 1993 une étude plus approfondie de ce thème. Dans les quelques paragraphes qui vont suivre nous présenterons successivement les techniques d'études employées ainsi que les différents axes de recherches possibles pour les mois et les années à venir.
Les individus étudiés doivent être reconnus et suivis de manière individuelle. Après trois ans d'expérience, la technique la plus efficace et la moins traumatisante s'avère être l'utilisation d'un piège tunnel à deux portes à déclenchement central. Aucun appât ne se distingue particulièrement pour son efficacité. Chaque individu capturé est anesthésié au Zoletil (Laboratoires Reading) puis marqué à l'aide d'une bague métallique numéroté à laquelle est ajoutée une marque plastique colorée en Darvic visible à distance. Le nombre élevé de groupes familiaux suivis est justifié d'une part, par la nécessité d'obtenir un nombre suffisant de données réparties sur les trois types d'habitat (Adret, Fond de vallée, Ubac) et d'autre part, par le fait que chaque femelle résidente ne met bas que deux ans sur trois voir un an sur deux. De plus le taux de mortalité (8 marmottons morts en 2 mois) doit être pris en compte afin de pouvoir suivre un minimum d'individus durant toute la durée de l'étude. Ceci nécessite un piégeage intensif et étendu ainsi qu'une dispersion des observations et des moyens.
La détermination du sexe des marmottons à l'émergence est réalisée après capture, par mesure de la distance ano-génitale : supérieure à 15mm chez les mâles, inférieure à 10 chez les femelles. La compilation des résultats pour les portées dont le sexe de tous les marmottons nés est connu, permet de calculer le rapport entre le nombre de marmottons mâles par portées, par années ou depuis le début de l'étude, et le nombre total de marmottons (mâles et femelles) des groupes considérés : ce sont autant de mesures différentes de la sex-ratio à l'émergence seule disponible pour une étude in situ. Elle est considérée comme une estimation de la sex-ratio secondaire, c'est-à-dire après formation de l'oeuf, par opposition à une sex-ratio primaire mesurée à la conception. Cette distinction, hormis les difficultés de mesure, présente surtout l'intérêt de distinguer des facteurs extrinsèques (physiques et sociaux) agissant directement sur le zygote, par opposition à des mécanismes intrinsèques liés au déterminisme génétique du sexe ainsi qu'aux propriétés fondamentales des gamètes (James 1971, Rhode et al. 1973, Pratt et al. 1987, Huck et al. 1990).
L'effort de capture, poursuivis tout au long de la saisons d'observations avec un maximum en début de saison de manière à remarquer chaque individu, permet de relever pour chacun d'eux différents indices biométriques tels que la longueurs des incisives, tour de cou, longueur de la tête, longueur des pattes postérieures mais aussi de les peser. Les relevés de ces masses tout au long de l'année, conjugués avec plusieurs captures des mêmes marmottons à différentes périodes, nous permettront de réaliser une estimation du taux global de croissance pondérale mais aussi de comparer celui des marmottons de sexe masculin et féminin. Chez une espèce monogame et sans dimorphisme de taille, on s'attend à une masse identique à l'émergence pour les marmottons mâles et femelles. De même, leur taux de croissance ne devrait pas différer significativement. Dans le cas contraire, un biais de l'investissement parental pourrait être éventuellement incriminé ce qui pourrait être un élément d'explication au biais observé de la sex-ratio.
Le suivi du budget temps et de l'occupation de l'espace sont quant à eux réalisés par la technique du "focal animal sampling" (Altman 1974). Chaque marmotton, repéré par sa marque auriculaire, est suivi individuellement à la lunette par session d'un quart d'heure, depuis un poste d'observation éloigné de 50 à 100 mètres. Leurs comportements, prise alimentaire, interaction avec d'autres marmottes, réponses aux alertes et leurs déplacements sont observés et chronométrés le plus précisément possible. Ces observations sont répétées de l'émergence (début juillet) à l'entrée en hibernation (octobre) et reprennent dès la sortie d'hibernation (2ème quinzaine d'avril). Pour un même individu, les observations sont réparties tout au long de la journée et à chaque fois, un pointage de tous les marmottons de la portée suivie est réalisé sur une carte. La comparaison de ces différent pointages permettra d'obtenir une estimation de l'espace exploité par chaque marmotton mais aussi de voir si l'un des sexes est plus "explorateur" que l'autre. De même la comparaison des répartitions dans le temps en durée et en fréquence des différents types de comportement permettra peut-être de caractériser l'un des sexes.
Dans un second temps, nous tenterons de déterminer les facteurs responsables de ce biais. L'étude des différentes stratégies comportementales adoptées et de différents indicateurs de l'investissement parental tels que la masse à l'émergence et la croissance pondérale, l'étude de différentes caractéristiques des groupes étudiés comme l'exposition, la structure sociale etc... et enfin une approche de différents indices susceptibles de discriminer les deux sexes, devraient permettre soit de replacer ces observations dans le cadre des différentes théories concernant le déterminisme de la sex-ratio (Trivers & Willard 1973, Clarck 1978, Silk 1983, Clutton-Brock 1991), soit d'en montrer l'originalité afin d'en mieux comprendre les mécanismes.
S.R des portées a l'émergence | S.R. GLOBALE = 0.600 S.R. MOYENNE = 0.599 | |||||
---|---|---|---|---|---|---|
Groupe | 1989 | 1990 | 1991 | 1992 | 1993 | |
A | 0.500 | |||||
B | 0.800 | 0.667 | 0.250 | 0.500 | ||
C | 0.750 | 0.750 | 0.800 | |||
D | 0.667 | 0.500 | ||||
E | 0.500 | |||||
J | 0.500 | 0.600 | ||||
Nb. d'individus | 5 | 3 | 4 | 15 | 28 | |
S.R. moyen | 0.800 | 0.778 | 0.750 | 0.542 | 0.566 | pour 55 marmottons |
S.R. Globale | 0.800 | 0.667 | 0.750 | 0.533 | 0.571 |
La sex-ratio (S.R.) est calculée comme suit : Nb. Mâles/(Nb. Total d'individus de la catégorie considérée).
S.R des yearling (1 an) | S.R. GLOBALE = 0.659 S.R. MOYENNE = 0.640 | ||||
---|---|---|---|---|---|
Groupe | 1990 | 1991 | 1992 | 1993 | |
A | 1 | 0.500 | |||
B | 0.667 | 0.800 | 0.250 | 0.333 | |
C | 0.500 | 0.667 | 0.750 | 0.750 | |
D | 1 | 1 | 0.667 | ||
E | 0.667 | ||||
F | |||||
G | 0.500 | ||||
J | 0.333 | 0.500 | |||
Nb. d'individus | 7 | 10 | 9 | 18 | |
S.R. moyen | 0.611 | 0.822 | 0.583 | 0.541 | pour 44 marmottons |
S.R. Globale | 0.714 | 0.800 | 0.667 | 0.555 |
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JAMES W.H., 1971. Cycle day of insemination, coital rate, and sex ratio.
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